Epigénétique : transmission au-delà des gènes

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©Anaïs BAIXES Kinésiologue Nantes

L’épigénétique correspond à la façon dont l’environnement et les expériences vécues vont influencer l’expression de nos gènes, sans en modifier leur contenu. Ces influences peuvent se transmettre d’une cellule à une autre lors de leur division. Elles peuvent aussi persister et se transmettre d’un individu à l’autre.

Les découvertes récentes remettent en question le déterminisme génétique et laissent entrevoir une possibilité d’interaction par nos comportements et notre mode de vie.

 

La base : le génome

Le génome représente l’information génétique de chaque individu. C’est un code très précis et unique pour chaque personne (identique chez les vrais jumeaux). Celui-ci se retrouve dans chacune de nos cellules sous forme d’ADN. Cet ADN commande la synthèse des protéines, composantes majeures de nos cellules, elles mêmes constituant nos organes. Chaque gène représente donc un morceau d’ADN qui contient une formule nécessaire à la fabrication d’une protéine.
Notre ADN se répartit sous forme de chromosomes. Nous disposons de 46 chromosomes (23 paires), la moitié provenant de notre mère et l’autre moitié de notre père. Pour chaque paire les 2 chromosomes sont donc différents. Nous transmettons la moitié de notre matériel génétique à nos enfants. Ce sont des caractéristiques innées qui leur confèrent des prédispositions.

Des recherches récentes ont démontré que l’expression de notre ADN pouvait être modulée par notre comportement et donc notre interaction avec l’environnement.

 

Les modulations : les marqueurs épigénétiques

Les mécanismes à l’œuvre sont distincts des mutations (altérations du code génétique directement), ici ce sont des modifications biochimiques qui marquent les gènes : ajout d’une molécule spécifique (marqueur) au gène. Cette molécule agira comme un interrupteur permettant l’activation ou l’inhibition du gène, modulant ainsi finement son expression à court ou long terme.
Le premier rôle de l’épigénétique est de donner leur identité aux cellules. Une cellule de foie est très différente d’un neurone, pourtant elles ont le même code génétique. Ce sont les régulations épigénétiques qui leur permettent de se différencier selon le type de tissu qu’elles vont constituer.

Dans la nature, l’exemple des abeilles illustre bien cette influence. Les abeilles d’une même ruche sont génétiquement identiques. Seulement il existe de grandes différences entre les ouvrières et la reine. La reine vit beaucoup plus longtemps et a la capacité à se reproduire contrairement aux ouvrières qui sont stériles et qui vivent beaucoup moins longtemps. L’explication provient de leur nourriture. Les larves des futures reines sont nourries à la gelée royale, celles des ouvrières au pollen. Cette différence d’alimentation est responsable de l’activation soit des gènes « ouvrières » soit des gènes « reine ».

Ces marques apposées sur notre ADN ou sur les protéines autour desquelles il s’entoure, ne sont pas figées. Elles peuvent être réversibles en fonction de ce que nous vivons.
Les vrais jumeaux sont dotés des mêmes gènes et pourtant ils peuvent montrer des différences physiques, comportementales et émotionnelles. Ceci s’explique car ils n’ont pas été exposés aux même vécu ni aux mêmes interaction avec leur environnement. Par exemple, leurs empreintes digitales sont différentes, elles dépendent de la pression du liquide amniotique lors de leur apparition in utero.

Ces marqueurs épigénétiques sont plus malléables dans la période autour de la naissance.
Du stress ou des traumatismes vécus dans la petite enfance (et même in utero) entraînent des modifications plus ou moins durables de ces marqueurs sur l’ADN.
Jusqu’à récemment, les scientifiques pensaient que ces traces laissées par les épreuves de la vie n’apparaissaient pas dans les cellules reproductrices (ovules et spermatozoïdes) et que l’embryon pouvait écrire sa vie sur une page blanche. Nous savons depuis peu que tout n’est pas effacé, des traces des épreuves traversées par ses parents peuvent persister et lui être transmises.

 

Transmission du bagage épigénétique

Les conditions de vie de nos parents (et peut être même grands-parents) entrent désormais dans l’équation de l’hérédité.
Leur alimentation, les toxiques auxquels ils ont été exposés (dont tabac et alcool) ou les traumatismes qu’ils ont vécus peuvent avoir une influence sur notre état de santé aujourd’hui.

La population hollandaise ayant subit une famine lors de l’hiver 1944-45 a beaucoup été étudiée.
Les enfants dont la mère a été exposée à un manque de nourriture pendant sa grossesse, avaient à l’age adulte un risque plus élevé de devenir obèses, de souffrir de diabète ou d’autres troubles du métabolisme. Des marques épigénétiques ont été déposées sur l’ADN pendant leur vie fœtale, elles ont modifié durablement l’expression de certains de leurs gènes impliqués dans le métabolisme des glucides et des lipides.

On sait aujourd’hui que les facteurs environnementaux exercent une influence sur toutes les cellules du corps jusqu’aux cellules reproductrices. Si des marqueurs affectent ces cellules, alors ils ont un risque d’être transmis à la génération suivante.
Les facteurs « internes » comme le stress ou les effets des traumatismes peuvent aussi se transmettre. En fonction de leur intensité, ils pourraient s’inscrire profondément dans nos cellules et entraîner des modifications épigénétiques. S’ils s’inscrivent dans nos cellules reproductrices, ils peuvent donc potentiellement être transmis à notre descendance. Les enfants pourront manifester des symptômes post-traumatiques, sans avoir été exposés à l’élément traumatisant et sans avoir été influencés par le comportement de leurs parents.

Le bagage épigénétique de l’embryon est reprogrammé pendant son développement, il est en partie effacé puis réécrit au fur et à mesure. Cette reprogrammation n’est pas totale, mais partielle et conserve certaines marques épigénétiques potentiellement toute sa vie. Les gènes dont le profil épigénétique n’est pas reprogrammé sont dits « gènes à empreinte parentale ». On peut dire que ces gènes sont capables de conserver la mémoire moléculaire du passé.

Si une femme enceinte est exposée à un facteur environnemental particulier générant un marquage sur son ADN, son enfant pourra aussi être exposé ainsi que ses propres cellules reproductrices en cours de développement. Ici 3 générations seraient exposées et touchées par une modification épigénétique.

Si des caractères plutôt « négatifs » peuvent se transmettre, il en va de même pour les caractères « positifs » des expériences de vie. Une capacité de résistance peut se retrouver chez des enfants dont les parents ont réussi à surmonter des épreuves difficiles.

 

Des perspectives

Les mécanismes épigénétiques sont dynamiques, ils nous permettent de nous adapter rapidement et constamment à notre environnement.

Nous savons que notre environnement a un impact sur notre développement, grâce à l’épigénétique nous découvrons comment cette influence agit de façon concrète au plus profond de nos cellules.
Ce que nous mangeons
fait partie des facteurs les plus influents sur nos marqueurs épigénétiques. Des activités comme le sport, la méditation ou la musique ainsi que des expériences positives (liens sociaux, apprentissage, nouveauté…) ont aussi des effets bénéfiques sur l’expression des gènes, notamment en favorisant le phénomène de plasticité cérébrale (réorganisation des connexions entre les cellules nerveuses cérébrales). Il devient alors envisageable de pouvoir contrebalancer les effets des expériences de vie défavorables.

Les mécanismes de transmission non-génétique sont complexes, et il reste encore beaucoup à découvrir à leur sujet.
Leur existence est une prise de conscience nouvelle sur l’impact de nos choix et de nos comportements.

Les avancées de la recherche dans ce domaine offrent une nouvelle approche des maladies et une perspective de prise en charge impliquant les facteurs épigénétiques.


Sources :
Isabelle M. Mansuy, Jean-Michel Gurret, Alix Lefief-Delcourt : « Reprenez le contrôle de vos gènes » 2019.
Rédaction Science & Vie n°23-2017 : « Le vécu des parents se transmet-il aux enfants? » .
Marie-Catherine Mérat : « Santé, bien-être : l’épigénétique à toutes les sauces? » Sciences & vie n°1223-2019.
Nelle Lambert : « Génétique et transmission transgénérationnelle » dans Cahiers de psychologie clinique 2014/2 (n°43).
Marine Corniou : « Gènes : l’épigénétique signe la fin du « tout-ADN » » Science & vie n°272-2018.
Joël De Rosnay : « La symphonie du vivant : comment l’épigénétique va changer votre vie. » 2018.
Edith Heard : « Epigénétique et mémoire cellulaire. » 2012.
Sophie Nicaud : « Jumeaux, tous issus du même œuf ? » 2019.