« Être socialement connecté est la grande passion de notre cerveau. » Matthew Lieberman (neuroscientifique)
S’il est évident que nous sommes une espèce sociale, avons nous vraiment conscience de l’impact que représente le lien social dans notre vie ? Construire des relations stables et équilibrées, voilà une de nos principales motivations dans notre quête du bonheur. Sans que nous nous en rendions compte, le fonctionnement de notre cerveau est orienté vers la recherche de liens sociaux.
Nous connaissons les facteurs importants à prendre en compte pour notre santé et notre bien être (activité physique, alimentation, consommation de tabac et d’alcool…). Accordons une attention plus significative aux facteurs sociaux, prenons conscience de la place qu’ils occupent dans nos vies car ils ont beaucoup plus d’influence qu’on ne le pense.
Un besoin vital
Nous devons notre survie à notre aptitude à nous relier aux autres et cela depuis la préhistoire ! Le groupe était protecteur, alors que seul nous étions plus vulnérables.
Cette recherche de lien s’est inscrite en nous comme un « programme inné » qui régit notre développement. Il va s’enclencher dès notre naissance, car immature, le nouveau né dépend des autres pour sa survie. Une bonne partie de son attention va être mobilisée pour créer et maintenir un lien sécurisant avec ses parents. Ce besoin semble donc vital ! Il serait alors bon de réviser la hiérarchisation des besoins humains représentée par la pyramide de Maslow, en ramenant à la base les besoins sociaux et d’appartenance avec les besoins physiologiques. On s’aperçoit qu’ils ont été longtemps sous-estimés alors qu’ils comptent parmi les plus significatifs pour notre bien être.
Suite aux confinements récents, on a pu observer à quel point l’isolement impacte le fonctionnement de notre cerveau. Celui-ci assimile une privation de contacts à une privation de nourriture, et la souffrance de la solitude à de la douleur physique. Dans chaque cas ce sont les mêmes zones cérébrales qui s’activent. On imagine alors très bien que les répercussions à long terme sur notre santé physique et psychologique puissent être importantes (anxiété, dépression, troubles cardiovasculaires).
Une étude menée par Robert Waldinger (qui a suivi 700 personnes pendant environ 75 ans), a montré que c’est la qualité des relations sociales qui prédit le mieux l’état de santé et le bien être des participants. Il s’est aperçu que les liens sociaux solides sont étroitement liés à l’augmentation de l’espérance de vie car ils impactent au moins autant la santé que le fait de ne pas fumer. Leurs bienfaits seraient même comparables à ceux du sport.
C’est donc le lien social qui nous maintient en bonne santé et non l’inverse ! Il agit un peu comme un moteur inconscient, qui nous incite à vivre, travailler, et faire des activités qui ont du sens.
Le cerveau social
Cette capacité à nous relier aux autres est tellement importante pour notre survie que nous avons dans notre cerveau un réseau de neurones dédié à cette aptitude : le « cerveau social ».
Lorsque nous sortons d’une tâche qui demande de la réflexion, c’est ce réseau qui prend le relai de façon réflexe sans que nous en ayons conscience. Il s’active pour que nous soyons toujours prêts à interagir avec les autres, il nous prépare à être plus attentifs et disponibles aux éventuelles interactions autour de nous. Il oriente nos choix et nos actions vers cette aptitude. Notre cerveau pense que c’est la meilleure chose à faire lors d’un moment libre : être prêts à voir le monde socialement.
Ce réseau nous motive également à partager de l’information avec les personnes qui nous entourent. Le lien social a un impact fort sur l’apprentissage car il active dans notre cerveau la région de l’hippocampe (centre de la mémoire). En cas d’isolement social on observe un rétrécissement de cette zone pouvant entrainer des troubles de la mémoire.
Pour apprendre, on se rend compte qu’il est donc plus efficace d’expliquer à quelqu’un que de simplement restituer (seul) des connaissances sur papier.
De manière générale le partage d’expériences positives avec une personne proche va activer le circuit cérébral de la récompense : notre cerveau libère alors de la dopamine, un neurotransmetteur associé au plaisir. Cela crée une motivation pour vivre à nouveau des expériences sociales car celles-ci nourrissent beaucoup plus notre cerveau que lorsque nous vivons ces mêmes situations seul.
Ces effets positifs sur notre santé physique et psychologique dépendent bien sûr de la qualité de nos relations. C’est ici un élément clé : comment construire des relations sociales équilibrées et trouver sa place au sein d’un groupe ?
Interdépendance et appartenance
Pour que ce besoin de lien social soit pleinement nourrit il est indispensable de trouver un équilibre entre dépendance et autonomie dans nos relations. Pour vivre des relations harmonieuses il est important de prendre conscience que nous avons autant besoin des autres qu’ils ont besoin de nous. Cette interdépendance est essentielle à des relations épanouissantes. Elle permet de pouvoir demander de l’aide sans pour autant perdre confiance dans ses capacités. Elle installe un sentiment de confiance à la fois en soi mais aussi dans les autres, cette sécurité affective nous évite de tomber dans la dépendance ou le rejet.
Au delà de la relation individuelle, notre besoin de vie sociale s’inscrit aussi au sein de groupes. Appartenir à un groupe (famille, amis, collègues, sport, association…) nous donne accès à de nombreuses ressources, dont le partage et le soutien. Nous pouvons à la fois en tirer une force mais aussi y contribuer. C’est un moyen de se reconnaitre et d’être reconnu, d’accepter et de se sentir accepté. Les groupes auxquels nous appartenons ont une influence sur la représentation que nous avons de nous-même, ils nous aident à construire notre identité sociale en représentant des valeurs que nous défendons.
Notre cerveau se nourrit de nos interactions sociales. Nous pouvons alors repenser nos relations comme un besoin vital qui protège notre santé. Gardons à l’esprit que nous impactons la vie des autres tout autant qu’ils impactent la notre.
Cultiver l’interdépendance tout en respectant la part d’autonomie de chacun parait être le bon équilibre à trouver pour des relations épanouissantes.
Bien entourés nous vivons mieux et plus longtemps !
Sources :
Rebecca Shankland, Christophe André : « Ces liens qui nous font vivre. » 2020
Anouk Tomas : « Neurosciences : les interactions sociales sont des récompenses naturelles. » Sciences et avenir, décembre 2021.
Matthew Lieberman : « Social: Why Our Brains Are Wired to Connect. » 2014
Robert Bornstein : « An Interactionist Perspective on Interpersonal Dependency » Current Directions in Psychological Science, 2011 – journals.sagepub.com
Robert Waldinger – Lessons from the longest study on happiness, « What makes a good life. » 2015 – ecole-commercer.com
Rebecca Shankland : « S’épanouir par les autres. » Cerveau et psycho n°125, octobre 2020
Catherine Haslam, Niklas K. Steffens, Rolf Van Dick : « Les groupes : des fontaines de jouvence. » Cerveau et psycho n°125, octobre 2020